La grotte de Bouan dans l'Ariège, qui servit de refuge et de forteresse aux cathares. |
Les ruines de Montségur sont devenues un lieu de pèlerinage touristique ou spirituel. |
LE JUGEMENT D'UN HISTORIEN DE L'ÉGLISEComment juger un tel ensemble de doctrines ? Il est bien difficile d'être équitable envers des idées et des hommes qui, par tant de côtés, déconcertent. Il est incontestable que, dans la caste des parfaits, il existait une aspiration très haute, très noble, vers l'esprit et que maints d'entre eux ne prirent pas à la légère cet appel qu'ils prétendaient avoir entendu de Dieu.Il est non moins certain que le renoncement que beaucoup pratiquèrent, leur ascèse, leur vie réellement fraternelle et charitable avaient une valeur de témoignage et de jugement en face de certains membres du clergé catholique qui ne mettaient guère en pratique les préceptes du Christ. Cela veut-il dire que le catharisme apporta la solution aux problèmes qui se posaient alors à l'Église ? Évidemment non. Le double caractère de cette hérésie était d'être antichrétienne et antisociale. Elle est un anarchisme transcendant. Antichrétienne, elle se dressait non pas pour réformer l'Église du Christ, mais pour l'abattre; ne la traitait-elle pas de « servante du mal », de « synagogue de Satan »? Ne rejetait-elle pas tout ce que, dans la société, le christianisme avait établi de bases solides, de traditions et de lois morales, de pratiques et d'institutions ? Ne condamnait-elle pas, d'un bloc, sans distinguer entre les bons et les mauvais, tous les membres du clergé, qui « ne pouvaient enlever l'ordure du monde car eux-mêmes avaient les mains sales »? Antisociale, cette hérésie niait, annihilait toute société. « Tout ce qui est sous le soleil et sous la lune n'est que corruption et confusion », disait le parfait Limosus Nègre. Si une société de parfaits avait été réalisable, elle se fût instantanément éteinte par le suicide rituel et la virginité totale. Et comme elle n'était quand même pas réalisable, parce que les parfaits n'étaient qu'une minorité (ce qui, en définitive, limitait le péril que pouvait faire courir la secte), l'indifférence radicale à tout ce qui est de la terre aboutissait à nier tout principe de morale, à abandonner l'être humain à ses passions incontrôlées. C'est vraiment le cas de redire avec Pascal qu'en voulant faire l'ange... L'historien américain de l'Inquisition, H. C. Lea, dont le livre est rien moins que suspect de partialité envers le catholicisme, a quand même écrit des cathares « Si leur croyance avait recruté une majorité de fidèles, elle aurait eu pour effet de ramener l'Europe à la sauvagerie des temps primitifs; elle n'était pas seulement une révolte contre l'Église, mais l'abdication de l'homme devant la nature. » Un autre protestant Paul Sabatier, dans sa Vie de saint François d'Assise, est encore plus dur « La Papauté, dit-il, n'a pas toujours été du côté de la réaction et de l'obscurantisme; lorsqu'elle terrassa les cathares, par exemple, sa victoire fut celle du bon sens et de la raison. » Et il ajoute : « Il ne faut pas que les persécutions endurées par les hérétiques nous les rendent intéressants au point de troubler notre jugement. » C'est sous cet angle qu'il faut juger les événements terribles où l'hérésie cathare allait, dans le midi de la France, s'effondrer. En la brisant, l'Église abattit une puissance redoutable qui, si elle avait triomphé, aurait ruiné, en même temps qu'elle, la civilisation dont elle était le soutien. DANIEL-ROPS, DE L'ACADÉMIE FRANÇAIS |